Le rail, encore une privatisation ratée?

privatisation du rail en France

La presse économique se fait l’écho, en ce début d’année 2024, de l’ouverture de la ligne TGV Paris-Lyon-Marseille à la concurrence, en l’occurrence, la Renfe, la compagnie espagnole. Un pas de plus vers la privatisation des chemins de fer en France…

La privatisation du rail est elle encore une question?

A la question (bidon?) de savoir s’il faut ouvrir les chemins de fer français à la concurrence, nous savons tous, consciemment ou non, que cela est impératif. Non pas parce que Bruxelles l’impose, en particulier avec son quatrième paquet ferroviaire applicable depuis décembre dernier, car cela ne saurait être une raison suffisante, mais parce que la situation du rail français l’impose.

Alors que le transport individuel, pour des raisons multiples, certains diront « écologiques », d’autres « économiques », d’autres aussi « de bon sens », est appelé à refluer, la SNCF s’entête dans une logique qui voit chaque année des kilomètres de voies fermer, des gares fermer, des coûts de transport exploser, une qualité de service se dégrader. La politique du « tout TGV », du « gain de temps » a pour conséquence une désertification de zones entières de notre territoire, une conception du service de rail socialement centrée sur les urbains. Il est facile d’aller d’une grande ville à une autre, d’une grande ville aux lieux de villégiature estampillés « bobo compatibles », mais tout ceci, comme toujours, au détriment de la « France périphérique ».

Alors qu’il n’y a pas si longtemps toutes les communes françaises étaient desservies, alors que quelques anciens racontent encore comment, en campagne, ils conduisaient leur cheptel à la gare locale pour être transporté par train à l’abattoir, alors qu’il suffit de regarder dans les gares restantes ou abandonnées le nombre de quais et de voies qui étaient utilisées et qui gisent aujourd’hui, envahies par les mauvaises herbes comme autant de témoignages de notre déclin, alors qu’on transforme d’anciennes voies ferrées en « voies vertes » ou pistes cyclables, vous devez, désormais faire 15 ou 20 km pour vous rendre à une gare ou un ou deux ou au maximum trois trains dans la journée sont susceptibles de vous conduire à Paris, charge à vous de changer de gare pour prendre une correspondance afin de rejoindre votre destination finale. Le tout avec une ponctualité approximative qui vous conduit à prendre une marge d’erreur pour être à peu près sûr d’arriver au moment voulu. Bref, le « gain de temps » affiché d’une ville à une autre a pour conséquence une augmentation considérable de la durée des trajets et une augmentation considérable de leur coût.

Vous remarquerez que je n’ai pas évoqué les grèves, les trains qui ne démarrent pas, qui tombent en panne en plein milieu du trajet, les passages à niveaux qui ne se ferment pas et bloquent la circulation, les « antisociaux » qui démontent les fils en cuivre et mettent en panne la signalisation, les rames qui ne savent pas freiner lorsqu’il y a des feuilles mortes sur les rails, les sangliers qui traversent parce que les clôtures ne sont pas entretenues, le dernier train de la journée supprimé au dernier moment, etc etc….

Faut il revoir de fond en comble notre politique ferroviaire? Oui. La SNCF est elle en mesure de le faire? Non.

Alors pourquoi hurler quand la Renfe obtient un droit de circuler sur PLM?

Parce que, encore une fois, nos technocrates raisonnent comme des comptables, pas comme de grands commis de l’Etat en charge du bien commun. Multiplier les opérateurs sur les lignes hyper rentables ne va jamais, au grand jamais, permettre de développer le rail sur le territoire de la France. Au contraire. En affaiblissant les recettes de la SNCF sur ces lignes et en laissant celle ci seul gestionnaire des lignes locales et secondaires, c’est le meilleur moyen pour que ces dernières finissent soit par crever définitivement, soit par ne plus vivre que sous perfusion d’argent public (régions, départements…). Le principe de privatisation n’est ni bon ni mauvais en soi. Ce sont les conditions de sa réalisation qui en font un bon ou un mauvais choix.

Mais, allez vous me dire, la privatisation des lignes secondaires est en route aussi, et les région de PACA et de Normandie ont déjà engagé le processus. Oui, mais avec toutes les chances réunies de plantage.

D’abord parce qu’aucun plan directeur de développement du rail n’est élaboré ou en cours d’élaboration (je parle bien de « développement »). Ensuite parce que nous nous dirigeons tranquillement vers une privatisation sur le mode concessionnaire et non « open access ». Or, quel enseignement pouvons nous tirer de l’expérience britannique? Le modèle concessionnaire, choisi par nos voisins d’outre manche, malgré toutes les réussites de la privatisation, n’a pas permis de diminuer la charge qui pèse sur les finances publiques ni fait baisser les tarifs pour les passagers (rapport McNulty)! Logique, le système concessionnaire remplace un monopole par un autre. D’ailleurs, c’est bien le modèle « open access » que la France semble avoir choisi pour les lignes à fortes rentabilité comme PLM, alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas appliquer ce même modèle aux lignes secondaire, voire locales?

Parce que l’état des infrastructures et la rentabilité théorique sont de nature à faire peur à d’éventuels acteurs privés?

Quelques pistes de réflexion pour imaginer une privatisation intelligente…

Un schéma national de développement

Il est nécessaire d’établir avant tout un schéma national de développement de l’infrastructure du rail afin d’atteindre à terme (échéance de 10 à 15 ans) un maillage de la quasi totalité des agglomérations françaises.

Rappelons qu’entre la nationalisation de 1938 et aujourd’hui, ce sont 16 000 km de voies ferrées qui ont été démolies, au nom du « service public ». Il est impératif de reconstituer un maillage du territoire national permettant d’utiliser le rail pour se rendre d’un point à un autre du territoire sans être obligé de passer par Paris ou de payer trois fois plus que ce coûte ce même trajet en automobile.

Une société unique, mixte, de gestion des infrastructures

L’exécution et la gestion de cette infrastructure (réseaux et gares) doivent être confiées à une entité unique, nationale, afin d’éviter les redondances, d’assurer une totale interconnexion et de définir les priorisations.

Cette société serait renforcée sur la plan capitalistique par l’apport de capitaux privés (ce que les statuts de « SNCF gares et connexions » permet), y compris et surtout de la part des sociétés privées qui souhaitent être présentes sur le marché du rail. Ainsi, toute société privée qui souhaiterait exploiter un tronçon du réseau ferré français se verrait tenue de participer au financement des investissements en devenant actionnaire de la société nationale. Bien évidemment cela n’est pas exclusif et si des sociétés non exploitantes veulent investir dans le réseau, elles doivent pouvoir le faire.

Le contrôle de cette société doit rester aux mains de l’Etat français pour des raisons stratégiques. Je sais, pour certains, ce terme semble désuet ou anachronique. Pourtant, la réalité de certaines situations  pas très loin de nous devraient les amener à réfléchir sur le rôle que peut jouer un réseau ferré en cas de conflit.

L’économie de cette entité sera assurée par les droits de péage versés par les exploitants. Je sais qu’actuellement ces droits sont démesurément lourds. Cette situation est le fruit d’une gestion technocratique, d’un trafic exsangue et d’un quasi monopole d’exploitants. D’où les points suivants.

Une privatisation en « open access »

Pour les raisons évoquées précédemment, si nous voulons éviter la reconstitution de monopoles, qu’ils soient privés ou publics importe peu, tous les opérateurs qui le souhaitent doivent pouvoir exploiter une ligne. La société gérant les infrastructures émettant des droits de trafic avec des créneaux horaires, sur le modèle de ce qui existe pour le trafic aérien. C’est la condition sine qua non pour que la concurrence joue son rôle.

Une diversification des matériels

Une des raisons pour lesquelles les trains régionaux coûtent si cher aujourd’hui est l’équipement imposé par SNCF. Or, certaines dessertes peuvent être assurées par des matériels plus légers nécessitant des investissements moins lourds (Bluetram par exemple pour la réouverture de lignes locales dont les rails ont été démontés) ou des matériels anciens reconditionnés (cf Transdev sur la ligne Carhaix-Paimpol) et une gestion du personnel plus souple.

Développer le trafic marchandises

S’il est un point sur lequel les impératifs économiques et écologiques se rejoignent, c’est sur la nécessité de développer le trafic marchandises par le rail. La solution la plus efficace et la plus rapide pour y parvenir serait d’ imposer de manière progressive le ferroutage ou transport combiné.

Cette mesure peut s’appliquer de manière progressive, d’abord sur le trafic en transit, puis sur des distances de plus en plus courtes, réduisant à terme l’usage du camion à un rayon de 100km.

Le ferroutage, outre la diminution de la pollution qu’elle engendrerait (les camions sont la première source de rejets de microparticules et de gommes), permettrait le désengorgement des infrastructures routières, le ralentissement de l’usure des infrastructures routières, la diminution des accidents routiers, créerait un marché du fret ferroviaire propice à son développement et donc à la baisse de ses coûts et donc du coût des droits de péage. Le développement de ce marché participerait à la rentabilisation de « SNCF gares et connexions ».

Conditionner l’octroi de droits d’exploitation des lignes à fortes rentabilité

Il s’agit d’imaginer un principe de conditionnement de l’octroi de droits d’exploitation des lignes à fortes rentabilité (TGV, grandes lignes) à l’exploitation de lignes locales et régionales.

Par exemple, l’exploitation ou la réouverture de lignes locales ou régionales permettraient l’octroi de plus ou moins de « droits » (en fonction du niveau de non-rentabilité à court, moyen et long terme) sur les lignes à forte rentabilité. L’exploitation de ces lignes n’intéressant pas forcément l’exploitant, ces  « droits » pourraient être négociables sous forme de vente ou de location et donc permettre d’améliorer la rentabilité des « petites » lignes sans faire appel à des subventions publiques.

Oui, la privatisation peut être vertueuse

Un dispositif tel que décrit précédemment permettrait de développer le rail par l’apport de capitaux privés dans la société gestionnaire des infrastructures. Plus de lignes, plus de communes desservies, plus de trains, plus de lignes transversales, plus de trafic marchandises, tout en garantissant le principe de continuité territoriale. Il ne s’agit pas de privatiser seulement ce qui est rentable, mais de faire de la privatisation un élément de dynamisation du trafic ferroviaire, tout en soulageant les finances publiques car ces dernières ne seraient, comme il se doit, engagées que dans les investissements et non dans le fonctionnement.

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