Chine : l’ouverture du marché intérieur s’accélère, mais la France reste à la traîne

La huitième édition du China International Import Expo (CIIE) s’est close ce 10 novembre à Shanghai. Alors que 155 pays et 4 108 entreprises étrangères y participaient, la France brille par sa discrétion. Un paradoxe, au moment où la Chine confirme sa position de première puissance économique mondiale et ouvre toujours davantage son immense marché intérieur.


Un événement devenu instrument de politique économique mondiale

Créé en 2018, le CIIE n’est pas une simple foire commerciale. C’est l’un des outils diplomatiques et économiques les plus sophistiqués de Pékin. En organisant chaque année à Shanghai cette grande exposition d’importation, la Chine entend prouver que son développement repose désormais autant sur sa consommation intérieure que sur ses exportations.
Pendant seize ans, la Chine a conservé son rang de deuxième marché d’importation au monde — preuve que son économie, loin d’être autarcique, devient l’un des poumons de la demande mondiale.

L’édition 2025, la huitième consécutive, s’est tenue du 5 au 10 novembre dans un contexte de tensions commerciales persistantes, de repli protectionniste et de recomposition des chaînes d’approvisionnement. Elle a rassemblé 449 500 visiteurs professionnels et généré 83,49 milliards de dollars de transactions préliminaires, soit une hausse de 4,4 % sur un an — un record historique.

En pleine crise de confiance entre l’Occident et la Chine, le message de Pékin est limpide : la Chine reste ouverte, stable et prévisible, quand les économies occidentales paraissent tétanisées par la peur du déclin industriel et par les crispations politiques internes.


Technologie, innovation, durabilité : le nouveau visage de l’importation chinoise

Les sept grands pavillons du CIIE 2025 reflètent les priorités du 14ᵉ Plan quinquennal chinois : consommation intelligente, santé, technologies vertes, mobilité électrique et industrie intelligente.
On y a vu, aux côtés des traditionnels produits alimentaires et agricoles, des démonstrations de robotique, des véhicules électriques à décollage vertical (eVTOL), et 461 innovations mondiales présentées en avant-première.

Ce basculement est majeur : la Chine n’importe plus seulement pour nourrir ou habiller ses citoyens, mais pour accélérer sa montée en gamme technologique et environnementale.
Les multinationales occidentales l’ont compris : Estée Lauder, par exemple, a signé 480 millions de dollars d’accords d’achat, tandis que Nike a annoncé l’ouverture de son premier studio de création hors États-Unis, ICON.Shanghai, pour adapter ses produits au marché chinois.


Un signal fort à la planète : la Chine comme “phare du multilatéralisme”

Face au désengagement américain et à la montée des politiques “Buy National” en Occident, Pékin mise sur l’ouverture comme instrument de puissance douce.
Cette année, 123 pays partenaires de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) étaient représentés, soit une hausse de 23 % sur un an. Même dynamique pour les pays les moins avancés (PMA), dont la participation a augmenté de 23,5 %.
La Chine consolide ainsi un réseau économique parallèle à l’ordre occidental, où elle se pose en championne du commerce inclusif et de la stabilité mondiale.

Le Forum économique international de Hongqiao, organisé en marge du CIIE, a donné une assise intellectuelle à cette stratégie : 33 sous-forums ont traité des questions de gouvernance numérique, de transition verte et de coopération Sud-Sud, avec l’idée d’articuler un modèle alternatif de mondialisation.


Les géants français du luxe présents, mais seuls

La présence française au CIIE 2025 fut limitée.
Hormis les grandes maisons du luxe — Kering (7ᵉ participation) et LVMH (6ᵉ participation) — la délégation française fut modeste. Ces groupes, parfaitement conscients du caractère vital du marché chinois pour leur croissance, ont aligné leur communication sur les thèmes favoris de Pékin : durabilité, patrimoine et créativité responsable.

Kering a présenté un pavillon circulaire réutilisant 50 % de ses matériaux d’exposition, symbole d’un luxe durable. LVMH a, de son côté, inscrit sa participation dans les 60 ans des relations diplomatiques franco-chinoises, liant explicitement l’économie à la diplomatie.

Mais au-delà de ces vitrines, peu d’entreprises françaises de taille moyenne se sont aventurées à Shanghai.
Les rares exceptions — comme Lesaffre, spécialiste des levures et ingrédient majeur de la boulangerie mondiale, présent pour la huitième année consécutive — ne suffisent pas à masquer l’absence criante de PME françaises, pourtant porteuses d’un savoir-faire reconnu et d’une production de qualité susceptible de séduire les consommateurs chinois.


L’Europe critique, mais absente

Cette frilosité française s’inscrit dans une tendance européenne plus large.
Bruxelles multiplie les reproches à l’égard de la Chine : manque de réciprocité, obstacles réglementaires, politiques d’achats publics “Acheter Chinois”. Ces griefs ne sont pas infondés, mais ils cachent une paralysie stratégique : pendant que l’Union européenne débat, d’autres pays — asiatiques, africains ou latino-américains — investissent, exportent et s’implantent.

La Chine, première économie mondiale, est aussi le premier marché intérieur de la planète. Son taux d’urbanisation, la montée de sa classe moyenne, l’appétit de ses jeunes générations pour la qualité, la santé et la technologie font du consommateur chinois un levier de croissance inégalé.
Refuser d’y être, ou s’y présenter timidement, c’est se condamner à l’effacement économique.


Ce que révèle le silence médiatique français

Pas un grand média français n’a mentionné la clôture du CIIE.
Cette indifférence en dit long sur la myopie économique de nos élites.
On commente le ralentissement de la croissance chinoise sans voir que même à 4 %, la Chine crée chaque année l’équivalent du PIB de la Suisse. On évoque ses dettes locales, mais on ignore la vitalité de son marché domestique et sa capacité d’innovation.

Ce silence contraste avec la lucidité des grands groupes américains qui, eux, continuent de s’ancrer dans l’économie chinoise. Pour eux, le marché chinois est “non négociable”. Pour la France, il est devenu invisible.


Un enjeu stratégique pour les exportateurs français

Le rapport du CIIE 2025 fournit pourtant des pistes claires :

  1. S’appuyer sur la “Certitude de Plateforme” du CIIE pour permettre aux PME françaises de rencontrer directement les acheteurs chinois.

  2. S’aligner sur les priorités chinoises : innovation, transition verte, montée en gamme technologique.

  3. Nouer des partenariats locaux pour contourner les obstacles réglementaires et accéder plus durablement au marché intérieur.

En somme, il ne s’agit plus seulement d’exporter des produits, mais de s’inscrire dans la dynamique de co-innovation et de coopération industrielle que Pékin promeut activement.


Conclusion : rater le train chinois, c’est rater le XXIᵉ siècle

La 8ᵉ CIIE a confirmé la mue de la Chine : d’“atelier du monde” à “consommateur du monde”.
Dans cette nouvelle configuration, refuser d’entrer sur le marché chinois au nom de réflexes idéologiques ou de craintes diplomatiques, c’est renoncer à une part essentielle de la croissance mondiale à venir.

Le CIIE n’est pas une foire : c’est une déclaration politique et économique, et la France, pour l’instant, y répond par son absence.

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