L’Ukraine traverse en cette fin d’année 2025 sa crise la plus profonde depuis le début du conflit avec la Russie. En plus de la crise militaire — le front s’effondre partout et les armées russes s’infiltrent et créent de multitudes de chaudrons condamnés à plus ou moins brève échéance, laissant ensuite les vastes plaine ukrainiennes ouvertes — voici que surgit une implosion interne où s’entremêlent corruption d’État, ruptures institutionnelles, désintégration du premier cercle présidentiel et pression diplomatique d’une intensité sans précédent. Les enquêtes du NABU, les arrestations en cascade, les fuites précipitées de ministres, tout cela dessine un tableau d’effondrement systémique.
Dans ce contexte, une hypothèse prend une consistance croissante : la démission de Volodymyr Zelensky. Non comme un geste imposé par Moscou, mais comme l’unique issue permettant d’ouvrir une phase politique nouvelle, capable de débloquer les négociations de paix sans humilier le pays.
La mécanique d’un désastre
Le scandale révélé autour d’Energoatom a servi de détonateur. Les valises de cash, les écoutes, les codes dignes d’une organisation criminelle, les ministres en fuite vers la Turquie et Israël, tout cela a brisé la fiction d’un pouvoir homogène et moralement inattaquable. Le cœur du pouvoir a vacillé lorsque les enquêteurs ont perquisitionné les bureaux mêmes de l’administration présidentielle. L’impunité supposée d’Andriy Yermak s’est évaporée en quelques heures et l’ami de toujours, le confident, l’éminence grise, celui que la sagesse populaire présentait comme « le vrai patron » du pouvoir, celui qui était officiellement le chef de cabinet de Zelensky a démissionné.
Ce n’est pourtant pas tant l’affaire elle-même que la réaction américaine qui a précipité l’Ukraine dans le vide. L’administration Trump utilise désormais ouvertement le scandale pour exiger l’acceptation de son plan de paix. L’argument avancé est simple : des dizaines de milliards ont été déversés depuis 2022, et l’Ukraine se montre incapable d’en assurer la gestion sans corruption massive.
La menace d’un audit complet des fonds américains, équivalent à couper instantanément l’oxygène budgétaire de l’État ukrainien, place Kiev dos au mur.
Zelensky, le point de rupture
Le président ukrainien, longtemps présenté comme l’incarnation de la résistance, se retrouve isolé, affaibli, contesté et désormais incapable d’offrir la moindre garantie à Washington. Sa popularité s’effondre. Ses alliés politiques, ses amis d’enfance, ses ministres fuient, sont arrêtés ou mis en cause. L’édifice construit autour de lui depuis 2019 se délite.
Dans ce contexte, une réalité s’impose : Zelensky n’est plus en mesure de négocier la paix sans paraître céder à la pression russe. Toute concession venant de lui serait vécue comme une trahison. Toute rigidité prolongerait une guerre que le pays ne peut plus soutenir indéfiniment.
Sa démission, paradoxalement, offrirait une porte de sortie honorable : la possibilité d’abandonner le pouvoir non pas sous la contrainte de Moscou, mais sous la pression d’une crise interne, tout en préservant sa dignité personnelle.
Cette démission pourrait s’obtenir en échange d’un abandon total de toute poursuite à son encontre. Trump serait la garantie de cet accord.
Après Zelensky : paix, élections, reconstruction
Si le président quittait ses fonctions, le mécanisme constitutionnel ukrainien permettrait à la Rada d’assurer la transition. De nouvelles autorités, libérées du passif personnel du scandale, pourraient signer un accord de paix. L’arrêt des hostilités ouvrirait alors la voie à des élections générales.
Le véritable enjeu serait de laisser les Ukrainiens choisir librement leur futur leadership. Pour une fois, l’Europe devrait s’abstenir de jouer les ingénieurs politiques. Laisser les urnes parler, sans interférences, serait le meilleur service à rendre à un pays meurtri.
L’espoir, ensuite, serait que les Ukrainiens élisent un gouvernement tourné vers la reconstruction — et non vers la vengeance. La tentation inverse serait immense : un pays ruiné, humilié, traumatisé, doté malgré tout d’une armée de plus de 600 000 hommes, soit trois fois l’armée française.
C’est un risque, bien sûr. Une armée aussi vaste peut devenir un instrument de revanche. Mais c’est un risque calculé. L’histoire le montre : le traité de Versailles avait imposé à l’Allemagne des limitations draconiennes, qui n’ont pas empêché ce pays de redevenir une puissance militaire en vingt ans. Limiter la force ukrainienne serait inefficace et nourrirait le ressentiment ; la conserver peut être dangereux, mais c’est le prix d’une paix négociée.
Un pari nécessaire
Nous sommes à un moment charnière : le maintien de Zelensky conduit à l’impasse, sa démission ouvre une issue. Les esprits chagrins diront que c’est là une défaite claire du camp occidental car tous les buts de guerre de Moscou seront atteints:
- Les territoires du Dombass seront rattachés à la Russie et deviendront des républiques supplémentaires de la Fédération.
- L’Ukraine ne sera pas membre de l’OTAN et aucune troupe ni aucune base d’un pays de l’OTAN ne s’y implantera.
- La Crimée sera reconnue définitivement comme appartenant à la Russie
- La puissance militaire de l’Ukraine sera sous contrôle.
- Le pouvoir nationaliste « raciste anti russe » sera écarté et de vraies élections auront lieu.
Mais cela veut aussi dire que les Russes n’auront plus aucun argument à avancer pour refuser la paix. Certes, ils pourront estimer avoir payer cher ce qui était de fait quasiment acquit dans les accords d’Istamboul en 2022, mais ils pourront présenter leur abandon de toute compensation comme une forme de concession faite à l’OTAN dont l’objectif était de les affaiblir.
Rien ne garantit que cette issue débouchera sur un apaisement réellement durable et le spectre d’un retour aux affaires américaines des adeptes de la vision « Zbigniew Brzeziński » du monde n’est pas écarté. Mais le retrait de Zelensky donne enfin une chance d’arrêter la guerre et de permettre à l’Ukraine de redevenir un État normal.
Dans la tragédie que vit ce pays, la seule piste raisonnable reste celle d’un changement de leadership, suivi d’un accord de paix, puis d’élections libres. À condition que l’Europe sache, cette fois, rester à sa place.
La paix exige du courage, et parfois, le courage consiste à se retirer.